RÉSUMÉ
Lovée dans une chilienne, alanguie sur la terrasse du bel appartement de l’immeuble Art Nouveau, à Passy, Ayyam rêvasse. Elle repense à sa jeunesse au Caire, à son éducation pervertie par les bons soins de monsieur El Kharoubi, le proviseur de la pension pour jeunes filles, et de son assistante madame Farah. Elle repense à Monsieur Max, son maître, celui qui l’a transformée en pharaonne emputanée, pour son plus grand plaisir. Elle repense à Camille, son mari, qui de soumissions en humiliations s’est habitué à leur quotidien candauliste…
Un thème à trois, quatre ou cinq voix, où le soumis de l’un est aussi le maître de l’autre : entre initiations BDSM et libertinage débridé, Gaspard de la Noche dessine les traits d’un personnage sulfureux, guidé par ses seuls désirs : la belle Ayyam aux ongles mauves.
EXTRAIT
Paris
Tandis qu’Ayyam se reposait en buvant du champagne, les souvenirs remontaient en vagues serrées. Dom Pérignon : la référence ecclésiastique du breuvage hors de prix n’était pas pour lui déplaire, la poésie naît du contraste. Le soleil éclairait par-derrière la tour Eiffel toute proche et gagnerait bientôt la colline de Meudon qu’il lécherait avant de disparaître derrière la coupole de l’Observatoire. Le spectacle était digne de la sublime terrasse ancrée au dernier étage de ce bâtiment Art nouveau de Passy où Camille les avait installés depuis leur mariage. Ayyam se délassait, alanguie sur une chilienne, à l’ombre du pin parasol planté dans un grand pot.
L’après-midi avec Monsieur Max, à Fontenay, lui avait procuré ce sentiment de honte exaltant son exquise sensualité, qui s’épanouissait merveilleusement sous la contrainte.
Dans le taxi qui l’avait ramenée près de son tendre mari, elle avait relevé sa robe, frissonnant au contact du cuir rouge sur ses fesses cuisantes : Monsieur Max avait congédié Ayyam en exigeant qu’elle demeurât avec son collant déchiré sous sa robe en corolle. Son shorty en dentelle noire gisait dans son sac, souillé de son humidité, témoin de sa condition de star du putanat, comme son Maître se plaisait à la nommer. Elle le palpait de temps à autre.
Que de chemin parcouru grâce à Max ! Que de bonheur dans la voluptueuse soumission. Dans le taxi, le chauffeur l’avait regardée dans son rétroviseur tandis qu’elle saisissait la lingerie gluante pour la humer. Elle le pria de gagner un parking souterrain, et de se garer dans le plus profond sous-sol. La voiture avait descendu la rampe en hélice, tournoyant comme dans un manège de fête foraine. Ayyam songeait à la descente dans le Maelstrom cher à Edgar Poe, ou à Orphée se rendant aux Enfers en quête de son Eurydice. Dans l’ombre propice de la dernière rangée du dernier étage – le sixième sous-sol, celui peint en violet et décoré par des clubs de golf –, elle rejoignit le conducteur, la robe tenue en brassée autour de la taille, diaprée par la lumière crue de l’allée. Des pas sonores – quelqu’un venait reprendre son véhicule – scandaient le flach-flach de la ventilation. Ayyam avait sucé le brave taxi avec une telle expertise que le sperme avait inondé sa bouche en quelques minutes. Quand elle se releva après s’être soigneusement épongée, son regard croisa celui de l’inconnu. Elle n’avait pas payé la course. Et elle avait téléphoné à Max pour lui raconter l’aventure. Il l’avait chaudement félicitée, la traitant d’infâme pharaonne emputanée, et lui promit d’exquises punitions.
Chez elle, elle avait fait couler un bain brûlant. Elle avait calmé la flamme qui courait sur ses jolies fesses avec l’onguent de madame Farah – qui lui en avait confié le secret il y a si longtemps… Elle le faisait fabriquer par un pharmacien de l’avenue Mozart.
Puis elle avait revêtu un long déshabillé de soie noire. Elle aime le contact des belles étoffes sur sa peau. La coupe de Dom Pérignon à la main, Ayyam fuma une de ces longues cigarettes égyptiennes au bout doré qu’elle affectionne, tout en admirant le soleil couchant allongeant les ombres de la terrasse, grande comme un court de tennis. Le sol en est de parquet de pin. De beaux meubles en teck sont disposés dans un petit jardin avec tables basses, poufs de couleurs, chiliennes et innombrables bacs fleuris. Une fontaine y gazouille comme au jardin d’Éden, au pied d’un érable sycomore taillé en bonsaï. Un grand jacuzzi carré occupe un angle. Les souvenirs affluèrent. Madame Farah… L’Égypte… Sa jeunesse… Longtemps enfouis, ils surgissaient, désordonnés, honteux et excitants, depuis qu’elle était devenue la soumise de Monsieur Max. Ayyam rêvassait, allongée sur la chilienne. Sa main s’égarait… Elle serait seule ce soir encore : Camille travaillerait une partie de la nuit sur son ordinateur.
Le proviseur
Le Caire… Le pensionnat copte… Le vieux proviseur l’avait convoquée au motif d’un prétendu « mauvais comportement ». On ne discutait pas les décisions de cet homme autoritaire – elle avait été privée de sortie. Elle avait pleuré au téléphone. Sa mère l’avait vertement tancée avant de raccrocher : « J’espère que tu vas t’excuser auprès de monsieur El Karoubi, quelle honte pour notre famille. »
Le vieillard au regard intrusif était assis derrière son grand bureau de chêne, sa secrétaire debout à son côté, une brune aux cheveux de jais strictement campée dans son éternel tailleur gris perle. Madame Farah. Toutes la craignaient dans ce pensionnat réservé aux jeunes filles de l’aristocratie cairote. Ayyam se tenait droite, avec sa longue jupe plissée, ses petits talons vernis, ses socquettes blanches, son corsage sage couvrant ses seins naissants. Depuis le début, monsieur El Karoubi portait son regard vers un horizon factice, derrière Ayyam. Puis il la fixa dans les yeux avant de l’apostropher de sa voix rauque : « Tu sais pourquoi tu es là, Ayyam ? » Ayyam, tête basse, larmes aux yeux, mains croisées sur le ventre, ignorait ce qu’on lui reprochait. « Réponds ! » hurla le proviseur. Ayyam paniquait, elle balbutia un « je-ne-sais-pas » à peine audible. « Peu importe, reprit le vieillard. Madame Farah ? Exécution. Elle va bien finir par avouer. »